En Guinée, des ONG dénoncent des «violations graves des droits humains» par le pouvoir

Des manifestants face à l'armée dans les rues de Conakry le 22 mars 2020 lors d'un référendum constitutionnel dans le pays. Photo Cellou Binani. AFP

A moins de deux semaines du scrutin présidentiel, le mouvement «Tournons La page» a signalé à la Cour pénale internationale des exactions susceptibles de recouvrir la qualification de «crimes contre l’humanité».

«Le pick-up s’est arrêté, un gendarme est descendu, il a tiré sur lui, puis ils sont repartis», raconte le père de Mamadou Yaya Bah. Son fils, âgé de 30 ans, a été tué d’une balle dans la tête, en mai, en marge de manifestations à Coyah, dans l’ouest de la Guinée. Selon Amnesty International, au moins 50 personnes sont mortes et 200 ont été blessées en moins d’un an lors de la répression des manifestations dans le pays, en particulier contre la réforme constitutionnelle permettant au président Alpha Condé, 82 ans, de briguer un troisième mandat controversé.

L’ONG pointe du doigt la responsabilité des forces de défense et de sécurité, associées parfois à des groupes de contre-manifestants, dans des homicides commis depuis octobre 2019. Le rapport est jugé «exclusivement à charge» par le gouvernement guinéen.

«Crimes contre l’humanité»

La répression a été si «violente» que le mouvement Tournons la page (TLP), réunissant plus de 250 organisations (dix Etats) de la société civile autour de l’alternance démocratique en Afrique, a écrit le 30 septembre à la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensouda, pour lui signaler des exactions susceptibles de recouvrir la qualification de crimes contre l’humanité : «En menant une répression violente visant la société civile, le pouvoir en place s’est rendu responsable de violations graves et réitérées de droits humains sur une grande partie de la population guinéenne», dénonce le collectif dans une lettre que Libération a pu consulter en exclusivité.

Pour appuyer ces accusations, le mouvement publie lui aussi un rapport documentant la mort de 52 personnes entre le 30 avril 2019 et le 22 mars 2020, date du référendum constitutionnel. Selon TLP, les forces de l’ordre ont procédé à une «répression ciblée», visant de manière quasi systématique certains quartiers de Conakry où vivent majoritairement des habitants peuls, une ethnie à laquelle appartient le principal opposant, Cellou Dalein Diallo.

Intimider

Le parti du président Condé, le RPG arc-en-ciel, est pour sa part largement soutenu par l’ethnie des Malinkés même si les deux hommes affirment être pluralistes. «Ils voulaient nous intimider car le quartier d’où on vient s’adonne beaucoup aux manifestations», estime un témoin de l’arrestation d’une trentaine de personnes, le 13 février, cité par TLP. Les détenus étaient presque tous «des jeunes hommes, qui sont surtout des débrouillards, des motos-taxis, des chauffeurs».

Le mouvement dénonce également des atteintes injustifiées à la liberté de manifestation, un usage disproportionné de la force, des arrestations arbitraires et des conditions de détention inhumaines et dégradantes. «Au regard de la proximité des élections nationales en Guinée, il est nécessaire de rendre public ce signalement afin que chacun des électeurs puisse en avoir connaissance», explique Me Élise Le Gall, l’avocate en charge du signalement à la CPI, qui précise que le texte n’est pas porté par un quelconque intérêt politique.

Heurts sporadiques

Dans ce contexte de «violences post-électorales et de musellement de l’opposition», TLP s’inquiète des tensions que suscite le scrutin présidentiel du 18 octobre. Lors d’une journée de mobilisation organisée par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), mardi, des heurts sporadiques ont éclaté dans plusieurs quartiers de la capitale entre manifestants et forces de l’ordre.

Le lendemain, un jeune homme a été tué d’une balle dans la tête dans la ville de Dalaba, dans le centre de la Guinée, secouée par des heurts depuis la visite, la veille, du Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, en campagne pour la candidature du chef de l’Etat.

La tension déborde même sur les pays voisins. Invoquant un soutien à des manœuvres de déstabilisation, Conakry a annoncé la fermeture des frontières avec trois de ses six voisins : la Sierra Leone, le Sénégal et la Guinée-Bissau. A moins de deux semaines du scrutin, Alpha Condé a appelé samedi les électeurs à ne pas basculer dans la violence : «On ne prend pas le pouvoir dans le sang, on ne prend pas le pouvoir en cassant des véhicules. On ne prend pas le pouvoir en provoquant les autres.»



Par Liberation.fr