Champion du monde de football avec l’équipe d’Argentine en 1986, joueur à Barcelone puis à Naples, l’ancien numéro 10, aussi détesté qu’adulé, un temps le protégé de la mafia et cocaïnomane incurable, est mort mercredi à l’âge de 60 ans.
L’ombre vacillante d’un ancien champion de football pénètre dans le stade Juan-Carmelo-Zerillo de La Plata, au sud-est de Buenos Aires, ce vendredi 30 octobre 2020. Emmailloté dans un survêtement noir, le visage à moitié caché par un masque de la même couleur, Diego Maradona est venu assister au premier match, depuis sept mois, de l’équipe professionnelle dont il est l’entraîneur, le Gimnasia La Plata. C’est aussi le jour de son anniversaire. Dans un stade vide de supporteurs, Covid-19 oblige, mais où figurent des banderoles à sa gloire, une brève cérémonie, avec remise de trophées et embrassades, l’attend.
Maradona a 60 ans, mais son corps en paraît quinze ou vingt de plus. Deux cerbères l’aident à marcher ou à lever le bras, avant d’aller l’asseoir sur un fauteuil en forme de trône, sur lequel il ne restera pas longtemps sitôt donné le coup d’envoi. La dernière apparition publique de l’ancien n° 10 ne laissait augurer rien de bon. Hospitalisé trois jours plus tard afin d’être opéré d’un hématome sous-dural, Diego Maradona est mort d’une crise cardiaque, a annoncé, mercredi 25 novembre, son porte-parole.
La mort d’un champion est toujours un événement triste. Celle du « Pibe de Oro » (« le gosse en or »), comme l’Argentine continuait de l’appeler, réveillera de profonds antagonismes chez les amateurs de ballon rond. Peu de sportifs auront, comme lui, alimenté avec autant de zèle les deux foyers contraires du supporteurisme que sont l’adulation et la détestation. L’auteur de la « main de Dieu », le protégé de la mafia napolitaine, l’ami de Fidel Castro et d’Hugo Chavez, le cocaïnomane incurable ne fut pas un enfant de chœur ni un modèle de vertu, loin de là. Il restera néanmoins comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football. Un génie du ballon à l’inspiration insolente.
Bidonville de Buenos Aires
Ses origines pauvres ont contribué à façonner le « mythe Maradona » dans l’imaginaire populaire argentin, surtout parmi les plus démunis. Malgré ses frasques et sa déchéance, ses fans l’ont aimé jusqu’au bout d’un amour viscéral, inconditionnel et éternel. Icône internationale, il a inspiré le cinéaste Emir Kusturica (avec le documentaire Maradona, sorti en 2008), le chanteur altermondialiste Manu Chao (qui lui a dédié la chanson Santa Maradona, en 1994), la romancière Alicia Dujovne Ortiz (Maradona c’est moi, La Découverte, 1993) ou de nombreux groupes de rock argentins, comme Los Piojos (« les Poux »), dont l’un des tubes assure que « si Diego, demain, joue au ciel, ils mourront seulement pour pouvoir le voir jouer ».
Son histoire est de celles, finalement assez classiques, qui mènent de la gloire à la déchéance, du génial au sordide. Elle commence dans un bidonville des faubourgs de Buenos Aires, où il voit le jour le 30 octobre 1960. Dans son autobiographie, Moi, Diego (Calmann-Lévy, 2001), le joueur raconte avec émotion cette enfance sans le sou : « Je garde un souvenir heureux de mon enfance, bien que si je devais définir d’un seul mot Villa Fiorito, le quartier où je suis né et où j’ai grandi, je choisirais le mot lutte. A Villa Fiorito, quand il y avait à manger, on mangeait, sinon, on ne mangeait pas. »
Il n’y a ni eau courante ni électricité dans l’humble baraque de trois pièces où Diego partage une chambre de quelques mètres carrés avec ses sept frères et sœurs. Son père, Don Diego, a émigré de sa province natale de Corrientes pour chercher du travail dans la capitale. Il est ouvrier dans une usine où l’on triture des os pour l’industrie chimique. Quand sa mère, Dona Tota, l’envoie faire des courses, Diego a toujours au pied quelque chose ressemblant à un ballon : « Une orange, des boules de papier ou de chiffon. » Aujourd’hui, le bidonville a peu changé mais quelques pâtés de maisons portent le nom de Diego Armando Maradona. Dans les rues en terre battue, les chiens squelettiques cherchent toujours de quoi manger, les enfants pieds nus jouent encore au football.
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